Covid-19 à Saigon : les entrepreneurs français témoignent

À Saigon, poumon économique du Vietnam, les entreprises françaises doivent s’adapter face à l’épidémie de COVID-19 qui met en péril leur activité. 

Agences de voyage, hôtels, restaurants, bars, boîtes de nuit… sont tout autant d’établissements touchés par les conséquences du coronavirus à Saigon. Les différentes mesures élaborées par le gouvernement vietnamien pour enrayer l’épidémie n’ont pu se faire sans impacter les entreprises locales et étrangères. Selon le Département municipal du tourisme, 1,18 million de touristes étrangers sont passés par la métropole du Sud en janvier et février 2020, soit une baisse de 21,72 % par rapport à l’année précédente. Lepetitjournal.com HCMV est parti à la rencontre d’entrepreneurs français des secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration afin de prendre la température. 

« On a eu deux clients ce soir, alors qu’habituellement, il y en a une trentaine ! »

Le tourisme est sans conteste le secteur le plus touché par la crise actuelle. William*, cadre dans une agence de voyages francophone, résume l’évolution de la situation depuis le début de l’épidémie :  « Les nouvelles ventes ont chuté de plus de 50 % pendant les deux premières semaines de février. Ensuite, elles sont légèrement reparties à la hausse car il n’y avait plus de nouveaux cas au Vietnam. Mais au début du mois de mars, elles ont rechuté de façon encore plus brutale qu’avant. » L’absence de touristes depuis la fermeture progressive des frontières a considérablement modifié les habitudes de travail des professionnels du secteur. « En ce moment, le quotidien des agences de voyages au Vietnam, c’est des annulations avec remboursement pour environ 85 % des clients, des reports de voyage pour environ 15 % des clients et l’organisation du rapatriement des clients déjà sur place. Rien que dans mon agence, je dois trouver une solution pour rapatrier 200 personnes. »

Nicolas Thanh, gérant du DaBlend Hostel, dans le district 10 de Saigon.

Victime collatérale de la chute du tourisme, l’industrie hôtelière subit de plein fouet cette crise. Nicolas Thanh, gérant du DaBlend Hostel dans le district 10, témoigne : « Malgré un très bon début de saison, j’ai arrêté de promouvoir l’hôtel à partir de février. Le Vietnam étant en étroite relation avec la Chine, nous allions forcément être impactés. » L’entrepreneur a quand même eu le temps d’anticiper la crise et de renégocier les contrats avec ses partenaires avant de clore les réservations en ligne le 19 mars. « Nous savions tous que lorsque le taux d’occupation descendrait au-dessous des 50 %, on fermerait. En haute saison, avec de tels chiffres, ça ne sert à rien de continuer. » L’hôtel sera donc fermé officiellement pour deux semaines, même si Nicolas, lucide, s’attend à prolonger la fermeture de plusieurs mois. 

« J’ai fermé Fresh Catch il y a trois semaines, rapporte Albin Deforges, à la tête de plusieurs restaurants à Saigon. Malgré notre clientèle d’habitués essentiellement constituée d’expats, malgré de bons chiffres le week-end, c’était beaucoup trop de charges pour nous par rapport à ce qu’on obtenait en retour. » Si le multi-entrepreneur a fait le choix de conserver certains de ses restaurants ouverts, il n’en demeure pas moins préoccupé par la situation actuelle. « On a largement perdu plus de 50 % de notre chiffre d’affaires, toutes activités confondues. » Même constat pour Louis*, qui travaille dans un restaurant français renommé du district 1 : « Les touristes ne viennent plus. Les Vietnamiens et les expatriés limitent leurs déplacements. Ça fait trois semaines qu’il n’y a plus grand monde. On a eu deux clients ce soir, alors qu’habituellement, il y en a une trentaine ! » Tous les restaurateurs ne sont pas touchés de la même façon. Guillaume, gérant d’un bar-restaurant dans le sud de Binh-Thanh, surveille de près la situation. « J’ai de la chance parce que j’ai une clientèle d’habitués constituée principalement d’expatriés et de Vietnamiens. Ils continuent de venir régulièrement ici. Nous sommes beaucoup moins touchés par les effets du corona que les commerces des quartiers touristiques comme le D1. » 

Albin Deforges, gérant du restaurant Fresh Catch, district 1

« Je suis en stress tous les jours jusqu’à 18 heures »

Face à cette situation inédite, William explique les prises de décisions auxquelles les agences de voyages doivent actuellement se confronter. « Les agences licencient, mettent en place un système de temps partiel ou recourent au chômage technique. Certaines ont fermé leurs portes. Celles qui s’en sortent le mieux sont de taille intermédiaire, c’est-à-dire celles qui emploient une cinquantaine de personnes. »

De son côté, Louis a pu bénéficier d’un planning aménagé mis en place par la direction de son restaurant, afin d’éviter le licenciement du personnel. D’après lui, « la plupart des restaurants envisagent le chômage technique, le temps que la situation se calme ». Olivier, gérant d’un restaurant à Binh Thanh, s’inquiète de l’éventualité d’une fermeture prolongée : « On rencontrerait de gros problèmes financiers, parce qu’on va devoir continuer à payer les loyers, le staff, etc. Ça risque de mettre en péril le business, c’est sûr. Tant que l’activité est régulière, on reste comme ça. On ajustera en fonction de la situation. »

Certains entrepreneurs sur le qui-vive attendent de nouvelles directives officielles, à l’image de Guillaume. « Depuis que les bars, les spas et les boîtes de nuit ont fermé dans le D1, je suis en stress tous les jours jusqu’à 18 heures en me disant que je vais peut-être recevoir un appel des autorités. La police est venue me voir aujourd’hui pour me dire que je pouvais rester ouvert. Je ne sais pas du tout comment ça va se passer pour la suite, mais mon pronostic, c’est qu’on fermera avant ce weekend du 21-22 mars. » Le jeudi 19 mars, soit trois jours après l’interview, Guillaume fermait son bar-restaurant à titre préventif.

Un marché vide de clients, district de Binh Thanh

 

À Saigon, aucun secteur d’activité n’a échappé aux conséquences économiques liées à l’épidémie de coronavirus, comme en témoignent ces commerçantes d’un marché de Binh Thanh : « Il y a une baisse de la fréquentation et des ventes d’environ 70 %. Au lieu de venir chaque jour, les clients viennent une ou deux fois par semaine. » Démunies mais solidaires, les vendeuses cherchent des solutions pour s’adapter à la crise qui perdure. « On a essayé de négocier une baisse du loyer et des taxes avec la direction du marché, mais ça n’a pas fonctionné. J’ai dû licencier mes employés parce que je n’avais pas d’argent pour les payer. » Avec la montée progressive du nombre de cas déclarés et la fermeture totale des frontières aux étrangers depuis le lundi 23 mars, la situation ne semble pas près de s’améliorer, sauf peut-être pour les vendeurs de masques et de savons.

 

Les prénoms ont été modifiés

Enquête réalisée en collaboration avec Loanne Jeunet 

 

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